Dans un pré-rapport pour le moment confidentiel, à paraître à l’automne, l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) pointe les 7 principales faiblesses de la France en matière de lutte contre la corruption.
Ce document, troisième étape d’une évaluation du dispositif juridique français démarrée en 1999, pointe ces accablantes constatations, qu’Anticor elle-même souligne depuis des années avec ses propositions: clarification et élargissement de notre droit en matière de corruption, véritable coopération internationale, indépendance du Parquet, augmentation indispensable des moyens dévolus au pôle financier, protection renforcée des fonctionnaires lanceurs d’alerte, des peines dissuasives (et surtout appliquées) en cas de corruption dans les marchés publics. Voir aussi le compte-rendu de notre adition par l’OCDE au printemps dernier en cliquant ici.
1. Très peu de condamnations
Seulement trois condamnations en douze ans pour des faits de corruption de fonctionnaires étrangers, s’étonnent les experts internationaux de l’OCDE, alors que la France compte un grand nombre d’entreprises dans les secteurs où la corruption est la plus fréquente (défense, énergie, transports, télécommunications).“Les examinateurs principaux déplorent le très faible nombre de condamnations pour corruption d’agents publics étrangers prononcé en France depuis que l’infraction est entrée en vigueur voici plus de douze ans. Ils déplorent également qu’aucune de ces condamnations n’ait été prononcée contre une personne morale
2. Un droit français bien trop restrictif
La notion d’“agent public étranger” y est comprise de manière très restrictive et l’intervention directe du fonctionnaire doit être prouvée, ce qui est quasiment impossible sans une coopération active du pays concerné. L’OCDE recommande “vivement à la France de clarifier, par tout moyen approprié, que les critères figurant dans la Convention et ses commentaires – afin de définir un agent public étranger et les actes qu’il accomplit – doivent être interprétés de manière suffisamment souple et large pour permettre l’incrimination de tout l’éventail des actes et situations visés par l’article 1 de la Convention”.
3. Des peines insuffisantes
Les peines encourues et les sanctions prononcées sont trop faibles pour être réellement dissuasives. “L’ensemble des panélistes interrogés (magistrats, avocats, professeurs de droit et représentants du secteur privé) l’ont jugée dérisoire pour les plus grosses entreprises françaises, notamment dans des secteurs comme celui de l’aviation ou de l’armement”, souligne l’OCDE, qui juge que de telles sanctions “peuvent en effet facilement être provisionnées” et “sont sans rapport avec les bénéfices réalisés ou attendus”.
4. Des procureurs pas assez indépendants
Après la Cour européenne des droits de l’Homme, l’OCDE s’inquiète du manque d’indépendance des procureurs français vis-à-vis du ministre de la Justice et du pouvoir politique, alors que “le parquet dispose du pouvoir de bloquer le déclenchement des poursuites en matière de corruption d’agent public étranger” Les experts ont répertorié 38 affaires qui n’ont donné lieu à aucune enquête en France alors que des entreprises françaises y étaient citées. “La réflexion du chef du parquet, magistrat nommé par décret du président de la République, peut en effet le cas échéant intégrer, outre l’avis des substituts spécialisés, des « critères d’opportunité » qui mettent en balance les conséquences prévisibles que la décision de poursuivre peut avoir sur le plan politique ou économique.
L’OCDE demande à la France «de prendre, de toute urgence, les mesures nécessaires pour s’assurer que le monopole du parquet dans le déclenchement des enquêtes et des poursuites, ainsi que son rôle dans le déroulement des informations judiciaires s’exercent de manière indépendante du pouvoir politique, afin de garantir que les enquêtes et poursuites en cas de corruption d’un agent public étranger ne sont pas influencées par des facteurs interdits par l’article 5 de la Convention, à savoir des considérations d’intérêt économique national, les effets possibles sur les relations avec un autre État ou l’identité des personnes physiques ou morales en cause”.
5. Des tribunaux sans moyens suffisants
La section financière du tribunal de grande instance de Paris a vu ses effectifs de magistrats fondre d’un tiers entre 2007 et 2012. “La réduction des moyens au pôle de Paris est une des explications plausibles du nombre limité de dossiers traités par la juridiction parisienne”, concluent les auteurs.
Ils s’inquiètent des capacités de certains parquets locaux à mener à bien des enquêtes complexes et précisent “L’absence d’affaires de corruption internationale traitées par le tribunal de Nanterre, qui a sous sa juridiction le quartier d’affaires de la Défense, siège de nombreuses multinationales, laisse aussi interrogateur sur le degré d’investissement de certains tribunaux en la matière.”
6. Améliorer le statut des fonctionnaires donneurs d’alerte
L’administration française aurait fait des efforts pour sensibiliser ses fonctionnaires à leur obligation de dénoncer tout acte de corruption, mais l’OCDE préconise d’améliorer encore la protection des fonctionnaires qui dénonceraient des actes de corruption en s’inspirant de ce qui existe dans le privé. Des procédures d’alerte devraient être instaurées dans les administrations qui n’en sont pas encore dotées. Les experts recommandent en outre d’“étendre l’obligation de dénonciation aux personnels des agences parapubliques non soumis à l’article 40 du code de procédure pénale, en particulier aux personnels de l’Agence française de développement, de la Coface et d’Ubifrance”.
7. Des acheteurs publics trop passifs
L’OCDE s’étonne enfin que les acheteurs publics ne soient pas plus sévères vis-à-vis des entreprises condamnées pour corruption étrangère, alors que celles-ci doivent être écartées des marchés publics d’après la directive européenne du 31 mars 2004: “L’application de cette disposition par les deux agences centrales chargées en France de l’octroi des marchés publics, l’Union des groupements d’achat public (Ugap) et le service des achats de l’État, apparaît dans la pratique très faible, voire inexistante
Pour en savoir plus :
http://www.acteurspublics.com/2012/07/19/les-7-failles-de-la-lutte-anticorruption