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La justice remarque qu’avec le temps, l’élu prend de l’audace dans sa fonction publique. L’âge ne peut constituer une excuse de gâtisme ou d’inexpérience. L’effronterie s’accroit avec le cumul des mandats, le tricotage de réseaux personnels, voire avec le pouvoir de tutelle.
C’est ainsi que l’élu, faute d’une opposition vigilante ou souvent inexistante, passe sous les radars de nombreux délits prévus aux articles 432-1 à 432-16 du code pénal, rangés en deux catégories : les abus d’autorité et les manquements au devoir de probité. Les « malhabiles », même avec un bon défenseur, s’exposent à des peines, jusqu’à l’interdiction des droits civiques.
Petit florilège des abus les plus courants :
- Abus d’autorité dirigés contre l’administration
par des mesures destinées à faire échec à l’exécution de la loi (article 432-1 du code pénal).
Exemples:
- refus de célébrer un mariage entre deux personnes du même sexe (circulaire du ministère de l’Intérieur du 13 juin 2013, NOR : INTK1300195C, §II-2).
- élu démis de ses fonctions, qui continue à les exercer (article 432-3 du code pénal (délit de pantouflage)
- Abus d’autorité commis contre les particuliers 
par les atteintes à la liberté individuelle consistant à :
- « ordonner ou accomplir arbitrairement un acte attentatoire à la liberté individuelle » (article 432-4 du code pénal) ;
- des discriminations visant à refuser le bénéfice d'un droit accordé par la loi ou encore à entraver l'exercice normal d'une activité économique quelconque (article 432-7 du code pénal).
Aux termes de l’article 225-1 du code pénal, constitue une discrimination « toute distinction opérée entre les personnes physiques à raison de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur grossesse, de leur apparence physique, de leur patronyme, de leur lieu de résidence, de leur état de santé, de leur handicap, de leurs caractéristiques génétiques, de leurs mœurs, de leur orientation ou identité sexuelle, de leur âge, de leurs opinions politiques, de leurs activités syndicales, de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. ».
Exemples à caractère discriminatoire :
- délibération d’un conseil municipal sur la résolution de suspension, pour deux écoles communales, de toute fourniture à l’exception du chauffage, en raison de « l’état d'immigration de la cité » (Cass. Crim., 11 mai 1999, n° 97-81.653 ; Bull. Crim. 1999, n° 93) ;
- atteintes à l'inviolabilité du domicile en s'introduisant (ou tentant de s'introduire) dans le domicile d'autrui contre son gré (article 432-8 du code pénal) ;
- atteintes au secret des correspondances, par détournement, suppression, ouverture ou encore révélation du contenu de correspondances (article 432-9 du code pénal) tant pour le courrier papier que pour les communications téléphoniques ou électroniques.
- Manquements au devoir de probité
par la prise illégale d’intérêts comme « le fait de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont [l’élu] a, au moment de l’acte, en tout ou partie, la charge d’assurer la surveillance, l’administration, la liquidation ou le paiement » (article 432-12).
Ce délit empêche donc un élu de nouer avec la collectivité qu’il représente des relations contractuelles dès lors qu’il exerce au sein de celle-ci une fonction de surveillance, d’administration, de liquidation ou de paiement dans l’affaire en cause.
l’article 432-12 ne se limite pas aux entreprises commerciales et concerne également le cas des associations (Cass. Crim., 10 avril 2002, n° 01-85613 ; Cass. Crim., 22 octobre 2008, n° 08-82068).
La surveillance et l’administration, ne se limitent pas au seul pouvoir de décision mais aussi aux rôles de préparation, de proposition ou encore de consultation dans le cadre de décisions prises par d’autres (Cass. Crim., 30 octobre 2002, n° 01-85486).
De plus, la participation à une décision collective ne met pas l’élu à l’abri du chef du délit de prise illégale d’intérêts (Cass. Crim., 25 janv. 2006, n° 05-84.782).
Plus courant, lorsqu’il correspond à un profit pécuniaire pour l’élu, l’intérêt retiré par ce dernier de l’opération peut également être d’ordre moral, familial, relationnel ou encore électoral. Il peut être direct ou indirect.
Exemple: a été jugé coupable de prise illégale d’intérêts l’élu départemental qui a participé à l’attribution de subventions à des communes pour la réalisation de travaux d’alimentation en eau potable, dont certaines ont, dans un second temps, confié la maîtrise d’œuvre des travaux à la société dont l’élu était par ailleurs dirigeant (Cass. Crim., 25 janv. 2006, précité).
En outre, il n’est pas nécessaire, pour que le délit soit constitué, que l’intérêt retiré par l’élu soit en contradiction avec les intérêts de sa collectivité (Cass. Crim., 19 mars 2008, n° 07-84.288).
- Délit de favoritisme
par le fait « de procurer ou de tenter de procurer à autrui un avantage injustifié par un acte contraire aux dispositions législatives ou réglementaires ayant pour objet de garantir la liberté d'accès et l’égalité des candidats dans les marchés publics et les délégations de service public » (article 432-14 du code pénal).
Exemples: 
- par la communication d’informations privilégiées à un candidat, une pratique administrative, comme l’élaboration d’un cahier des charges « sur mesure » pour une entreprise, ou un acte juridique d’une décision d’attribution reposant sur des critères illégaux, tant les marchés passés selon une procédure formalisée (tel l’appel d’offres) que les marchés à procédure adaptée (Cass. Crim., 14 févr. 2007, n° 06-81.924),
- par un acte contraire aux directives européennes, ou au règlement intérieur de la commande publique de la collectivité.
- Concussion
Délit par « le fait de recevoir, exiger ou ordonner de percevoir à titre de droits ou contributions, impôts ou taxes publics, une somme qu’elle sait ne pas être due, ou excéder ce qui est dû » (article 432-10 du code pénal).
Délit aussi par « le fait d’accorder sous une forme quelconque et pour quelque motif que ce soit une exonération ou franchise des droits, contributions, impôts ou taxes publics en violation des textes légaux ou réglementaires» 
Exemples: 
- ordres de paiement mensuels au profit de conseillers municipaux, auxquels ceux-ci ne pouvaient prétendre en raison de la gratuité de leur mandat (Cass. Crim., 27 juin 2001, n° 00-83739) ;
- un maire imposant à chaque promoteur et particulier le paiement d’une somme par logement construit sur sa commune, somme non prévue par les textes, ni par une délibération du conseil municipal, et versée sur un compte occulte de l’office du tourisme (Cass. Crim., 16 mai 2001, pourvoi n° 97-80888) ;
- l’octroi gratuit et sans autorisation du conseil municipal d’un logement communal à l’entraîneur du club de football local (Cass. Crim., 31 janvier 2007, pourvoi n° 06-81273).
- Corruption passive et le trafic d’influence.
Délits caractérisés par le fait de demander ou d’accepter, sans droit, à tout moment, directement ou indirectement, des offres, des promesses, des dons, des présents ou des avantages pour soi ou pour autrui, dans l’un des deux buts suivants (article 432-11 du code pénal) :
« Soit pour accomplir ou avoir accompli, pour s'abstenir ou s'être abstenue d'accomplir un acte de sa fonction, de sa mission ou de son mandat ou facilité par sa fonction, sa mission ou son mandat ; Soit pour abuser ou avoir abusé de son influence réelle ou supposée en vue de faire obtenir d'une autorité ou d'une administration publique des distinctions, des emplois, des marchés ou toute autre décision favorable».
Ces délits préjugent l’existence d’un « pacte de corruption », c’est-à-dire l’établissement d’un accord de volonté entre le corrupteur et le corrompu. L’infraction est consommée dès cet accord, même si le pacte n’a pas été exécuté ou que l’auteur a restitué le larcin (Cass. Crim., 22 juillet 1954).
D’ailleurs, les collectivités peuvent se voir allouer des dommages-intérêts pour le préjudice moral subi en raison des actes de leurs exécutifs (Cass. Crim., 8 février 2006, pourvoi n° 05-80488, susvisé).
Exemples de corruption:
- Délit de corruption passive : le maire s’est fait remettre une importante somme d’argent en échange de l’obtention d’un arrêté municipal modifiant la destination d’un bâtiment à usage de résidence de tourisme en immeuble destiné à l’habitation, en contrepartie du versement d’une taxe de surdensité abusivement minorée (Cass. Crim., 8 février 2006, n° 05-80488).
- Délit de trafic d’influence : le maire a reçu de l’argent pour intervenir auprès d’une administration en faveur d’un entrepreneur pour l’obtention d’un marché de travaux publics, dont le programme était soumis à sa collectivité (Cass. Crim., 15 décembre 2004, pourvoi n° 03-83474).
- Soustraction et détournement de biens
Une infraction caractérisée par le fait « de détruire, détourner ou soustraire un acte ou un titre, ou des fonds publics ou privés, ou effets, pièces ou titres en tenant lieu, ou tout autre objet qui lui a été remis en raison de ses fonctions ou de sa mission » (article 432-15 du code pénal).
Exemples: 
- un maire qui, du fait de sa négligence, signe des factures sur présentation de bons de commande, permettant à la secrétaire de mairie de se procurer pour son compte personnel du matériel électroménager et hi-fi, ainsi que des livres, prétendument destinés à l’école de la commune (Cass. Crim., 9 novembre 1998, pourvoi n° 97-84696).
- un maire qui, en sa qualité d’ordonnateur, a pendant plusieurs années versé des subventions à une amicale d’employés et ouvriers communaux destinées, en réalité, à assurer un complément de rémunération au personnel communal au titre des avantages acquis, alors même que ce personnel n’y avait pas droit (Cass. Crim., 20 juin 2002, pourvoi n° 01-82705).
- un maire qui a, en sa qualité d’ordonnateur, fait régler par la commune les frais afférents à une manifestation purement privée, en l’espèce une fête pour son anniversaire réunissant le personnel communal (Cass. Crim. 14 février 2007, pourvoi n° 06-81107).
- Autres infractions punies par le code pénal :
   Les faux
par l’altération frauduleuse de la vérité, de nature à causer un préjudice dans un écrit ou tout autre support d’expression de la pensée qui a pour objet d’établir la preuve d’un droit ou d’un fait ayant des conséquences juridiques (article 441-1 du code pénal). Il peut s’agir, de fausses signatures, de documents antidatés, ou, plus généralement, d’altérations d’actes. Le code pénal y englobe la contrefaçon, la falsification, l’usage ainsi que la détention de documents falsifiés ou contrefaits

   Délit de faux en écritures publiques (article 441-4 du code pénal) qui vise les faux commis dans une écriture publique par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, agissant dans l’exercice de ses fonctions ou de sa mission (cad les actes administratifs et notamment les registres d’état-civil et leurs extraits, les documents de comptabilité publique, les délibérations, ainsi que la plupart des « écritures municipales ».
Exemple: par un maire d'établir et de signer, pour l'adresser au préfet, un extrait du registre des délibérations du conseil municipal relatant une délibération dont ce registre ne contient aucune trace, et dont il est établi qu'elle n'a donné lieu à aucun procès-verbal (Cass. Crim., 27 févr. 1984, n° 83-90.842).
   Infractions commises en qualité d’officier d’état-civil contraires aux règlements sur la tenue des registres et la publicité des actes d’état-civil ; s’il ne s’assure pas du respect des règles préalablement à la célébration du mariage. C'est-à-dire du « consentement du père, mère ou autres personnes lorsque la loi le prescrit pour la validité d'un mariage ».
Exemple: délit en célébrant le mariage d’une personne déjà mariée avant la dissolution de sa précédente union (article 433-20 du code pénal).

- Récapitulatif des sanctions en vigueur

infractions

Code pénal

Peines
d'emprisonnement

Peines d'amende

Abus contre l’administration :

-          opposition à l’exécution de la loi

-          opposition à l’exécution de la loi suivie d’effet

-          exercice des fonctions alors qu’une décision ou des circonstances y ont mis fin

 

432-1


432-2

 

432-2

 

5 ans


10 ans

 

2 ans

 

75 000 €


150 000 €

 

30 000 €

Abus d’autorité contre les particuliers :

-          atteintes aux libertés individuelles

-          discriminations

-          atteintes à l’inviolabilité du domicile

-          atteintes au secret des correspondances

 



432-4

432-7

432-8


432-9



 

7 ans

5 ans

2 ans


3 ans



 

100 000 €

75 000 €

30 000 €


45 000 €

Atteintes au devoir de probité

-          concussion

-          corruption passive et trafic d’influence

-          prise illégale d’intérêts

-          favoritisme

-          soustraction et détournement de biens par l’élu

-          soustraction et détournement de biens par un tiers du fait de la négligence de l’élu

 

432-10

432-11


432-12

432-14

432-15


432-16

 

5 ans

10 ans


5 ans

2 ans

10 ans


1 an

 

500 000 €

1 000 000 €


500 000 €

200 000 €

1 000 000 €


15 000 €

Faux et usages de faux

-          commis dans un document administratif

-          commis en écriture publique

-           Infractions commises en qualité d’officier d’état-civil


441-1

441-2

441-4

R.645-3


3 ans

7 ans

10 ans

-


45 000 €

100 000 €

150 000 €

1 500 €


Au cours de la mandature 2014-2020 : 2036 élus et 800 agents territoriaux ont été poursuivis et condamnés dans l'exercice de leurs fonctions (+ 30 % par rapport à la mandature précédente) 440 dossiers sont toujours en attente de jugement. Cette situation amorale pousse l’Etat à réformer le « mille-feuille » administratif hérité de la Révolution et du Premier Empire.

Patrick Richard

Tag(s) : #Démocratie
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