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LE MONDE 2 | 30.01.09 | 14h09 ...En ce mois d'août, Nicolas Sarkozy séjourne dans la vaste propriété de sa belle-mère, Marisa Bruni-Tedeschi, à la pointe du cap Nègre, un domaine privé, clos avec gardiennage, situé sur une petite péninsule varoise entre Toulon et Saint-Tropez, au Lavandou. Vingt-six hectares paradisiaques abritant une cinquantaine de demeures nichées dans les pins parasols, les chênes-lièges et les arbousiers, avec vue plongeante sur la Méditerranée et accès à deux plages privées. Depuis les années 1970, Marisa Bruni-Tedeschi y possède l'imposant "château Faraghi", bâtisse offrant 14 chambres et autant de salles de bains, avec 3,5 hectares de parc attenants, une piscine et un ponton d'amarrage pour bateaux.

A l'extrême pointe du cap, sur cette terrasse du "château" qui, telle une proue de navire, domine la mer, se tient, le mardi 19 août, une réunion de crise, à l'initiative de Nicolas Sarkozy. Le président de la République est entouré de sa femme, de sa belle-mère, d'une poignée de propriétaires du cap, du maire (UMP) du Lavandou, Gil Bernardi, de la directrice départementale de l'équipement. Et même du préfet du Var, Jacques Laisné. L'affaire, pourtant, est de compétence municipale. Mais le président tient à ce que tout se passe "en conformité avec la loi, dans les règles, sans passe-droit". Qui, mieux que le préfet, pour l'attester ? Le voilà aussitôt convoqué chez la belle-mère de Nicolas Sarkozy. "Quand un président vous demande, il est rare qu'un préfet refuse", pose, sans plus de commentaires, Jacques Laisné.

C'est que le chef de l'Etat a décidé d'accélérer le règlement de ce problème d'égouts qui, depuis plusieurs années, empoisonne les relations de voisinage dans le domaine privé. Tout commence en 2002. La mairie du Lavandou, comme la loi l'y oblige, fait réaliser une étude de zonage d'assainissement par un cabinet expert. D'où il ressort que le cap Nègre ne peut accueillir de fosses septiques, le sol rocheux interdisant l'épandage. Et qu'il doit donc être raccordé au tout-à-l'égout municipal. Or toutes les maisons, construites dans les années 1950-1960 (à l'exception du "château", datant de 1937), sont équipées de fosses.

L'Association syndicale libre, qui tient lieu dans ce domaine privé de copropriété, ne parvient pas à voter les travaux de raccordement à la majorité des 80 %, comme le prévoit son cahier des charges pour les décisions extraordinaires. Nicolas Sarkozy entend débloquer en un tournemain la situation. Le 19 août, comme il l'avait déjà fait trois jours auparavant en accompagnant sa belle-mère à l'assemblée

générale de l'Association syndicale, il explique qu'il faut respecter la loi, que s'y opposer revient à mener un combat d'arrière-garde. Que l'environnement est menacé. Que l'on peut faire dire ce que l'on veut aux différentes études, mais qu'il faut maintenant agir, démarrer les travaux, et ce dès janvier. Qu'il y aura des subventions publiques. "Toutes les autorités ont pris parti pour le tout-à-l'égout. Je vous aiderai." Et le préfet d'enfoncer le clou, un rien menaçant. Les systèmes d'assainissement individuels ne sont plus acceptés au cap du fait des normes européennes en matière de pollution. Il mandera l'exécution d'office des travaux en cas de blocage.

Cette prise en main présidentielle des tuyauteries du cap Nègre, et l'inévitable médiatisation qui s'ensuit, n'est pas au goût de tous. "Le 16 août, lors de la réunion officielle de l'Association syndicale, le président est arrivé en retard. Il a mis le sujet de l'assainissement sur le tapis alors que la discussion était déjà close, mais le président de séance, évidemment, n'a rien dit. Nicolas Sarkozy nous a parlé de l'Union pour la Méditerranée qu'il venait de créer. Avec nos 50 maisons, il fallait montrer l'exemple, ne pas polluer, on avait une grosse responsabilité ! Comme l'affaire avait suffisamment duré, il proposait, si cela nous intéressait bien sûr, d'organiser une réunion. Vous voyez les gens dire au président que cela ne les intéresse pas ? Puis il est parti", rapporte Magdeleine Huetz, l'une des propriétaires.

ON NE DIT PAS NON AU PRÉSIDENT

En ouvrant la seconde réunion, informelle celle-là, du 19 août, le président, la mine grave, annonce qu'il doit rapidement partir pour l'Afghanistan. Mais durant une heure, sans chercher à écourter la discussion, le voilà totalement concentré sur cette affaire de tout-à-l'égout. "On s'est vu signifier des décisions déjà prises par le maire, le préfet et le président. C'était Raccordement, exécution, rompez ! Tout cela au moment de la crise en Géorgie et de la mort des dix soldats français en Afghanistan… Ubuesque !", poursuit Mme Huetz. Etonnant mélange des genres, mais aussi des rôles, selon les opposants au projet : celui qui s'est présenté comme gendre, en présence de sa belle-mère et de sa femme, semble donner des ordres.

Mme Huetz n'y voit rien de moins qu'un "intolérable abus de pouvoir du président" : "On ne pouvait pas ignorer son titre. Inévitablement, un certain nombre de personnes sont impressionnées et suivent, comme des moutons de Panurge… Sauf les rebelles !" Ils sont 14, ces "rebelles", réunis au sein d'une Association de défense du cap Nègre, qui résistent au tout-à-l'égout, et désormais, donc, au président de la République française et à sa belle-mère. Une minorité de blocage parmi la cinquantaine de propriétaires. A cause d'eux, les travaux voulus par le président ne démarreront pas en janvier.

Principales figures de l'opposition, Magdeleine Huetz et son mari, Jacques, 85 et 87 ans, un couple d'anciens directeurs de recherche au CNRS, physiciens tous deux. Distingués, courtois, discrets, ils ne s'expriment qu'à mots choisis ("Elevons le débat et considérons à notre grande frayeur…") et nous prient de ne pas mentionner leurs faits de résistance antérieurs, durant la seconde guerre mondiale ("Trois fois rien"). Eux maîtrisent les aspects techniques.

A leurs côtés, d'un tout autre genre, un ancien inspecteur d'assurance, Jean Métainier, très déterminé, un rien hâbleur, qui semble se délecter des subtilités juridiques. L'adversaire de cauchemar dans n'importe quel contentieux. "Je suis un fox-terrier, se décrit-il, goguenard. Quand je plante les dents, je ne lâche pas." Il aime "jongler" avec les avocats, vient d'en solliciter un nouveau, de Saint-Raphaël, spécialisé dans le droit administratif. "Je vise le maire. Incidemment, si Sarko est au milieu, il prendra des coups. Il n'avait rien à faire là !" Retraités, ces "papys flingueurs" ont tout leur temps pour se

plonger dans les études techniques et le Code des communes. "On n'a que ça à faire… Les pauvres !", rigole Jean Métainier.

Installés depuis des décennies au cap, présents été comme hiver, ils ne sont pas du genre à s'en laisser conter par un nouvel estivant, tout président de la République soit-il. Et n'ont pas apprécié, mais pas apprécié du tout, qu'après l'intervention de M. Sarkozy, certains articles les présentent comme de pingres millionnaires à l'affût des subventions publiques, préférant polluer la Méditerranée plutôt que débourser le moindre centime.

DES SUBVENTIONS "ABERRANTES"

Parce que, "petit 1", nous assurent-ils, ils ne sont pas millionnaires. Eux, ou leurs parents, ont acquis des terrains au cap, dans les années 1950, lorsqu'ils étaient encore accessibles à des acheteurs simplement aisés. Rien à voir avec les grandes fortunes qui ont rallié cet Eden pour résidences secondaires, à l'instar de Serge Tchuruk, parti d'Alcatel avec un parachute doré de 5,7 millions d'euros, ou de dirigeants de haut vol de Carrefour, Paribas ou la banque Rothschild.

"Petit 2", ils ne sont pas radins, justes rationnels. Sont prêts à investir dans la mise aux normes européennes de leurs fosses septiques, comme certains l'ont déjà fait : il leur en a coûté entre 11 000 et 15 000 euros. Pourquoi paieraient-ils trois fois plus cher (entre 33 000 et 40 000 euros par propriétaire selon leurs estimations) pour un raccordement au tout-à-l'égout particulièrement complexe à réaliser sur ce terrain très escarpé ? " 3 500 mètres de canalisation, comptent-ils, dont 800 mètres sous pression avec une ribambelle de pompes, un système fragile et nécessitant un entretien incessant… "

"Petit 3", ils ne veulent pas de subventions publiques. C'est un domaine privé, pourquoi recevraient-ils de l'argent du contribuable ? Dans un premier temps le maire, Gil Bernardi, pour les inciter à se rallier à l'assainissement collectif, n'a pas lésiné sur les promesses d'aides : la commune endossait la maîtrise d'ouvrage afin que les propriétaires ne paient pas la TVA sur les travaux, qui seraient alors subventionnés par le conseil général. Il a encore offert l'exonération des taxes de raccordement au collecteur. Et évoqué des financements de l'Agence de l'eau, de la région…

Au total, il promettait de subventionner 50 à 70 % des travaux, dans ce domaine totalement privé. Et c'est à cette "condition suspensive" que Nicolas Sarkozy a appelé à voter le projet. "Vous ne pouvez pas seulement venir en aide aux nécessiteux, rappelle le maire. Quand un quartier est en difficulté, puisqu'il faudra verser près d'un million d'euros, il est logique que la collectivité soit solidaire." Mais les services du préfet, dûment mobilisés autour de ce projet cher au président, ont étudié la légalité des aides prévues… qui s'en sont trouvées fort réduites. Peu importe leur montant, ces aides seraient "aberrantes", selon Jacques Huetz. "Le maire clame que la ville est fauchée. Cela augmenterait l'animosité des Lavandourains à notre égard. Déjà qu'on est perçus comme un enclos de riches…" Elu d'opposition, sans étiquette, Marc Lamazière acquiesce : "Là où le bât blesse, c'est qu'il s'agit de travaux dans un domaine privé. En tant qu'élu, je dis qu'on est en train d'utiliser des fonds publics pas forcément là où il faut."

Enfin le "Petit 4", cœur du problème pour les tenants de la fosse septique. La pollution. Le sujet a le don d'exacerber les susceptibilités et de faire sortir les gros dossiers des sacoches en cuir. "Le maire affirme qu'on pollue la baie de Cavalière, que nos terrains absorbent mal. Les deux postulats sont faux ! Dans

les années 1950, le lotisseur avait contraint les propriétaires à posséder une fosse justement pour qu'ils ne rejettent absolument rien à la mer ! Tous les plateaux d'épandage des eaux usées traitées sont à plus de 35 mètres du rivage. Tous les terrains à l'exception de celui de Mme Bruni-Tedeschi mesurent 2 500 m2, et leur constructibilité n'est que de 12 %. Même avec 400 personnes en août, qui consomment 160 litres par jour, cela fait 0,25 litre par mètre carré et par jour à épandre. Ce n'est rien du tout !" Incidemment, ajoutent-ils, c'est tout de même suffisant pour que la végétation s'épanouisse sans avoir à l'arroser.

POLLUTION : LES DIAGNOSTICS DIVERGENT

A l'expertise de la mairie, l'Association de défense du cap oppose une autre étude, commandée à un cabinet d'experts renommé, qui indique que les terrains, moyennement absorbants, rendent les fosses possibles. Et de souligner encore que les eaux de la baie de Cavalière, dont le cap clôt l'un des côtés, sont constamment considérées comme propres par la Ddass, et que la plage bénéficie du très précieux label environnemental " Pavillon bleu ". Les tenants de la fosse septique ne reconnaissent qu'une seule source de pollution, justement due selon eux à l'absence de fosse dans une petite maison, près de l'embarcadère, appartenant à la famille Bruni-Tedeschi. Habituellement vide, elle a pu, selon eux, rejeter cet été en mer un peu plus d'eaux usées que de coutume puisqu'elle a servi d'abri aux policiers chargés de la sécurité du couple présidentiel…

Qu'en est-il réellement de la pollution qui serait due au cap Nègre ? L'unique association écologiste locale, l'Association de défense de l'environnement de Bormes-Le Lavandou, n'a jamais été alertée d'une pollution de la mer aux abords du cap. Le préfet s'en remet au maire. "Il n'y a pas de constat spécifique de pollution avérée. Mais les services techniques de la mairie ont noté des rejets non conformes aux normes." Est-ce la crainte de perdre le "Pavillon bleu" si attractif pour les touristes ? Le maire, Gil Bernardi, que nous rencontrons le 16 décembre, ne confirme pas les propos du préfet. "Le cap ne pollue pas. Il y a seulement risque de pollution du fait que ces anciennes fosses ne sont plus aux normes."

Un risque qui, en ce 16 décembre, paraît bien mineur. Tout le département du Var est touché par les inondations. Le Lavandou n'est pas épargné. L'une des deux stations d'épuration de la ville, celle vers laquelle le maire entend acheminer les eaux usées du cap Nègre, vient d'être emportée par une rivière. L'autre n'est plus aux normes depuis huit ans, des travaux sont prévus. Une bonne part des égouts de la ville se déverse directement en mer.

De retour de la zone inondée, le maire, trempé, en chaussettes et pantalon de chantier, prend le temps de nous recevoir pour parler de l'assainissement du cap. La station sera sûrement vite reconstruite, le cap pourra s'y raccorder. La zone est classée assainissement collectif depuis 2003, la loi devra bien finir par s'appliquer, explique Gil Bernardi, qui a définitivement rejeté cet été la demande de dérogation au zonage présentée par l'Association syndicale du cap. Il mène une intense campagne de lobbying auprès de tous les propriétaires, y compris de ceux résidant à l'étranger.

Pour les opposants au projet, le maire, qui a longtemps crié à la pollution et en a convaincu la famille Bruni-Tedeschi, était nécessairement animé d'une arrière-pensée. "Quand une mairie envisage une convention de maîtrise d'ouvrage telle que celle qu'on nous a proposée pour les travaux, c'est évident…", suppute Jean Métainier. Selon lui, le réseau d'assainissement souterrain construit par la commune, et lui appartenant, nécessitera un entretien, donc une déprivatisation des voies, donc à

terme une ouverture du domaine au public.

"Tous les maires du Lavandou en ont rêvé, assure-t-il. Dites aux Gaulois que nous sommes que quelque chose est interdit : ils ne rêveront que d'y aller ! Cette ouverture au public est un fantasme. Et politiquement, c'est de bon ton." Même si, reconnaît-il, la présence estivale du couple présidentiel retarde quelque peu le projet. Le maire se défend de vouloir déprivatiser le cap Nègre. N'a-t-il pas fait voter une décision en sens contraire au conseil municipal ? Mais au cap Nègre, même les partisans du tout-à-l'égout craignent suffisamment cette perspective pour préférer organiser et payer les travaux par eux-mêmes. Un devis est en cours d'élaboration. Une offre de financement par le Crédit foncier à l'étude.

SILENCE EMBARRASSÉ

La présidente de l'Association syndicale des propriétaires, l'avocate Patricia Moulin-Lemoine, une héritière des Galeries Lafayette, espère bien obtenir enfin un vote positif en août prochain. " Ces travaux, résume-t-elle, nous y sommes obligés. Nous n'avons pas suffisamment prêté attention à l'enquête de zonage commandée par la mairie, et qui s'est déroulée en plein hiver. Il aurait fallu faire valoir nos arguments pour l'assainissement individuel à ce moment-là auprès du commissaire enquêteur. Les opposants ont raison : il y a des tas de motifs qui plaident en faveur de l'assainissement individuel. Mais il n'est plus temps de s'opposer. C'est la loi ! Certes, ce sera coûteux, mais cela nous coûtera quatre fois plus cher d'engager vingt ans de procédure contre l'Etat."

Elle s'agace de l'intérêt porté à cette histoire de copropriété, en pleine crise économique. "L'intervention de Nicolas Sarkozy n'a rien changé. Simplement, il n'aime pas les dossiers qui traînent, il était logique qu'il nous poussât vivement à respecter la loi." Certes, reconnaît-elle, "le maire et le préfet font plus attention à ce dossier parce que Nicolas Sarkozy regarde. Mais le président a bien précisé que c'était à nous de décider".

Au plus fort des inondations dans son département, alors que des routes sont coupées, des évacuations en cours, le préfet s'extrait de la cellule de crise qu'il anime pour honorer un rendez-vous fixé avec nous. "Le président souhaiterait que les choses avancent", dit-il simplement, avant de préciser que si les travaux ne sont pas votés en août prochain, il saisira la justice. Nicolas Sarkozy suit-il régulièrement ce dossier auprès de lui ? Le préfet, après un silence embarrassé, "ne répond pas" à cette question. Interrogé par Le Monde 2, l'Elysée n'a pas souhaité répondre à nos questions.

Sur un ton placide d'octogénaire qui en a vu d'autres, Magdeleine Huetz feint de s'étonner de ce qu'elle découvre du fonctionnement des hommes politiques : "Le président fonce tête baissée sur un dossier qu'il ne connaît absolument pas. Il nous affirme qu'on peut faire dire ce qu'on veut aux différentes études, et qu'il faut maintenant agir vite. Mais en fonction de quoi ? L'assainissement du cap Nègre n'est qu'un brimborion. Mais s'il agit comme cela en politique internationale, c'est plus gênant." Avec ses compères rebelles, elle envisage déjà de faire valoir ce qu'elle estime être la raison au tribunal administratif.

Pascale Krémer l LE MONDE 2 I 30.01.09

Tout-à-l’égout du Cap Nègre : Sarkozy limoge le préfet du Var
Tag(s) : #Écologie
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